« La vie est tendance, et l’essence d’une tendance est de se développer en forme de gerbe, créant, par le seul fait de sa croissance, des directions divergentes entre lesquelles se partagera son élan. »
Henri Bergson, L’évolution créatrice, Chap.II, 1907
« Chacun de nous, en jetant un coup d’œil rétrospectif sur son histoire, constatera que sa personnalité d’enfant, quoique indivisible, réunissait en elle des personnes diverses qui pouvaient rester fondues ensemble parce qu’elles étaient à l’état naissant : cette indécision pleine de promesses est même un des plus grands charmes de l’enfance. Mais les personnalités qui s’entrepénètrent deviennent incompatibles en grandissant, et, comme chacun de nous ne vit qu’une seule vie, force lui est de faire un choix. Nous choisissons en réalité sans cesse, et sans cesse aussi nous abandonnons beaucoup de choses. La route que nous parcourons dans le temps est jonchée des débris de tout ce que nous commencions d’être, de tout ce que nous aurions pu devenir. Mais la nature, qui dispose d’un nombre incalculable de vies, n’est point astreinte à de pareils sacrifices. Elle conserve les diverses tendances qui ont bifurqué en grandissant. Elle crée, avec elles, des séries divergentes d’espèces qui évolueront séparément.»
Henri Bergson, L’évolution créatrice, Chap.II, 1907
« La route qui mène à la ville est bien obligée de monter les côtes et de descendre les pentes, elle s’adapte aux accidents du terrain; mais les accidents de terrain ne sont pas cause de la route et ne lui ont pas non plus imprimé sa direction. A chaque moment ils lui fournissent l’indispensable, le sol même sur lequel elle se pose ; mais si l’on considère le tout de la route et non plus chacune de ses parties, les accidents de terrain n’apparaissent plus que comme des empêchements ou des causes de retard, car la route visait simplement la ville et aurait voulu être une ligne droite. Ainsi pour l’évolution de la vie et pour les circonstances qu’elle traverse, avec cette différence toute. fois que l’évolution ne dessine pas une route unique, qu’elle s’engage dans des directions sans pourtant viser des buts, et qu’enfin elle reste inventive jusque dans ses adaptations. »
Henri Bergson, L’évolution créatrice, Chap.II, 1907
« Si l’évolution de la vie est autre chose qu’une série d’adaptations à des circonstances accidentelles, elle n’est pas davantage la réalisation d’un plan. Un plan est donné par avance. Il est représenté, ou tout au moins représentable, avant le détail de sa réalisation. L’exécution complète en peut être repoussée dans un avenir lointain, reculée même indéfiniment : l’idée n’en est pas moins formulable, dès maintenant, en termes actuellement donnés. Au contraire si l’évolution est une création sans cesse renouvelée, elle crée au fur et à mesure, non seulement les formes de la vie, mais les idées qui permettraient à une intelligence de la comprendre, les ternies qui serviraient à l’exprimer. C’est dire que son avenir déborde son présent et ne pourrait s’y dessiner en une idée. »
Henri Bergson, L’évolution créatrice, Chap.II, 1907
« Devant l’évolution de la vie, au contraire, les portes de l’avenir restent grandes ouvertes. C’est une création qui se poursuit sans fin en vertu d’un mouvement initial. Ce mouvement fait l’unité du monde organisé, unité féconde, d’une richesse infinie, supérieure à ce qu’aucune intelligence pourrait rêver, puisque l’intelligence n’est qu’un de ses aspects ou de ses produits. »
Henri Bergson, L’évolution créatrice, Chap.II, 1907
« La vie en général est la mobilité même ; les manifestations particulières de la vie n’acceptent cette mobilité qu’à regret et retardent constamment sur elle. Celle-là toujours va de l’avant ; celles-ci voudraient piétiner sur place. L’évolution en général se ferait, autant que possible, en ligne droite; chaque évolution spéciale est un processus circulaire. Comme des tourbillons de poussière soulevés par le vent qui passe, les vivants tournent sur eux-mêmes, suspendus au grand souffle de la vie. »
Henri Bergson, L’évolution créatrice, Chap.II, 1907
« La vie tend à agir le plus possible, mais que chaque espèce préfère donner la plus petite somme possible d’effort. Envisagée dans ce qui est son essence même, c’est-à-dire comme une transition d’espèce à espèce, la vie est une action toujours grandissante. Mais chacune. des espèces, à travers lesquelles la vie passe, ne vise qu’à sa commodité. Elle va à ce qui demande le moins de peine. »
Henri Bergson, L’évolution créatrice, Chap.II, 1907
Pages : >Page 1 >Page 2 >Page 3 >Page 4 >Page 5 >Page 6 >Page 7 >Page 8 >Page 9 >Page 10