Louise Labé, abandonnée par l’anonyme jeune homme qu’elle aimait, confie dans ce sonnet décasyllabique (vers de dix syllabes) l’amertume de sa défaite. Son écriture apparaît ici, comme une sorte de douloureux témoignage, au-devant de la vieillesse et de la mort.
« Tant que mes yeux… »
Louise Labé, Sonnets XIV, 1555
Tant que mes yeux pourront larmes épandre,
A l’heur1 passé avec toi regretter,
Et qu’aux sanglots et soupirs résister
Pourra ma voix, et un peu faire entendre,
Tant que ma main pourra les cordes tendre
Du mignard2 luth3, pour tes grâces chanter,
Tant que l’esprit se voudra contenter
De ne vouloir rien fors4 que toi comprendre :
Je ne souhaite encore point mourir.
Mais quand mes yeux je sentirai tarir,
Ma voix cassée, et ma main impuissante,
Et mon esprit en ce mortel5 séjour
Ne pouvant plus montrer signe d’amante,
Prierai la Mort noircir mon plus clair jour.
1 : Bonheur / 2 : Gracieux / 3 : Ancien instrument de musique à cordes / 4 : Sauf / 5 : Terrestre (des mortels)