« On a tout fait rentrer dans la philosophie, même les sciences, sous prétexte que la philosophie comprit à l’origine toutes les recherches scientifiques; la philosophie, à son tour, rentrera dans la religion, sous prétexte qu’à l’origine la religion embrassait en soi toute philosophie et toute science. Étant donné une religion quelconque, fût-ce celle des Fuégiens, rien n’empêche de prêter à des mythes le sens des spéculations métaphysiques les plus modernes; de cette façon on laisse croire que la religion subsiste, quand il ne reste plus qu’une enveloppe de termes religieux recouvrant un système tout métaphysique et purement philosophique. Bien mieux, avec cette méthode, comme le christianisme est la forme supérieure de la religion, tous les philosophes finiront par être chrétiens; enfin l’universalité, la catholicité étant l’idéal du christianisme, nous serons tous catholiques sans le savoir et sans le vouloir. »
Jean-Marie Guyau, L’Irréligion de l’avenir, préface, 1886
« Les éléments qui distinguent la religion de la métaphysique, et qui la constituent proprement religion positive, sont, selon nous, essentiellement caducs et transitoires. En ce sens nous rejetons donc la religion de l’avenir comme nous rejetterions l’alchimie de l’avenir ou l’astrologie de l’avenir. Mais il ne s’ensuit pas que l’irréligion ou l’a-religion – qui est simplement la négation de tout dogme, de toute autorité traditionnelle et surnaturelle, de toute révélation, de tout miracle, de tout mythe, de tout rite érigé en devoir– soit synonyme d’impiété, de mépris à l’égard du fond métaphysique et moral des antiques croyances. Nullement; être irréligieux ou a-religieux n’est pas être anti-religieux. Bien plus, comme nous le verrons, l’irréligion de l’avenir pourra garder du sentiment religieux ce qu’il y avait en lui de plus pur :d’une part l’admiration du cosmos et des puissances inférieures qui y sont déployées, d’autre part la recherche d’un idéal non seulement individuel mais social et même cosmique, qui dépasse la réalité actuelle. »
Jean-Marie Guyau, L’Irréligion de l’avenir, 1886
« Une pensée n’est réellement personnelle, n’existe [souligné par Guyau] même à proprement parler et n’a le droit d’exister qu’à condition de ne pas être la pure répétition de la pensée d’autrui. Tout œil doit avoir son point de vue propre, toute voix son accent. Le progrès même des intelligences et des consciences doit, comme tout progrès, aller de l’homogène à l’hétérogène, ne chercher l’idéale unité qu’à travers une variété croissante »
Jean-Marie Guyau, L’Irréligion de l’avenir, 1886
« Le jour où les religions positives auront disparu, l’esprit de curiosité cosmologique et métaphysique qui s’y était fixé et engourdi pour un temps en formules immuables sera plus vivace que jamais. Il y aura moins de foi, mais plus de libre spéculation; moins de contemplation, mais plus de raisonnements, d’inductions hardies, d’élans actifs de la pensée; le dogme religieux sera éteint mais le meilleur de la vie religieuse se sera propagé, aura augmenté en intensité et en extension. Car celui-là seul est religieux, au sens philosophique du mot, qui cherche, qui pense, qui aime la vérité »
Jean-Marie Guyau, L’Irréligion de l’avenir, 1886
« Aujourd’hui on peut être un penseur sans avoir besoin de rêver, on peut même être un rêveur sans avoir besoin de croire. La science et l’art sont nés et nous ouvrent leurs domaines aux perspectives infinies, où chacun peut dépenser, sans le gaspiller en pure perte, son excédent d’activité. La science permet le désintéressement de la recherche sans tolérer les égarements de l’imagination, elle donne l’enthousiasme sans le délire, elle a une beauté à
elle, faite de vérité. »Jean-Marie Guyau, L’Irréligion de l’avenir, 1886
« Là où cesse la science positive, il y a encore place pour l’hypothèse et pour cette autre science, dite métaphysique, qui a pour but d’évaluer les probabilités comparatives des hypothèses : savoir, supposer, raisonner dans tous les sens en partant de ce qu’on a supposé, chercher, enfin, ces mots paraissent rendre tout l’esprit moderne : nous n’avons plus besoin de dogmes. Ce qui seul est éternel dans les religions, c’est la tendance qui les a produites, le désir d’expliquer, d’induire, de tout relier en nous et autour de nous, c’est l’activité infatigable de l’esprit, qui ne peut s’arrêter devant le fait brut, qui se projette dans toutes choses, d’abord troublé, incohérent, comme il fut jadis, puis clair, coordonné et harmonieux, comme la science d’aujourd’hui. Ce qui est respectable, dans les religions, c’est donc précisément le germe de cet esprit d’investigation métaphysique qui tend aujourd’hui à les renverser les unes après les autres. »
Jean-Marie Guyau, L’Irréligion de l’avenir, 1886
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